jeudi 7 mars 2024

𝗥𝗼𝗯𝗲𝗿𝘁 𝗕𝗮𝗱𝗶𝗻𝘁𝗲𝗿: 𝗹'é𝗹𝗼𝗾𝘂𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗲 𝗹𝗮 𝗺𝗼𝗿𝘁.

 

S'il existe bien une arme commune aux hommes de toutes les époques, de toutes les civilisations, c'est bel et bien l'éloquence. Instituer par les anciens et perfectionner par les modernes, l'éloquence résiste aux vieillissements du temps. Nous utilisons encore le plan classique du discours définit par Aristote ou Quintilien: exorde, Introduction, narration, argumentation, réfutation, péroraison. De même, les anciens nous ont légués les trois pilliers du débat rhétorique tels que l'ethos, le pathos et le logos.¹ L'éloquence c'est bien "plaire, émouvoir, convaincre" selon la définition du grand orateur romain Cicéron.² Au delà de l'usage que les hommes font de cette arme contre eux même, l'éloquence contribue à des exploits plus légendaires. D'aucuns se rappellent le talent oratoire prodigieux de Sisyphe qui, raconté par Homère, trompa Thanatos et Haddès, respectivement dieux de la mort et des enfers chez les grecs.³ De la même teneur est l'histoire que nous comptons dessiner à travers ces quelques mots.  Le récit d'un homme qui a vaincu la mort avec l'arme de la parole. Tout esprit curieux pourrait croire que l'on veut conter une légende. Loin de là se trouve notre volonté et nos références ne sont guère mythologiques. Ce récit est celui d'un homme juste: Robert Badinter.

 

Une vie d'émotions et d'éloquence.

Robert Badinter naît à Paris le 30 mars 1928 de parents naturalisés. Son père et sa mère, Simon et Charlotte sont originaires du Bessarabie (région partagée entre la Moldavie et l'Ukraine). Robert est donc né de parents juifs. Persécutés pour leur appartenance, les parents de Robert ont dû quitter la Bessarabie pour rejoindre le pays des droits de l’homme [La France] en 1912.  Robert grandit à Paris et c'est alors qu'il va rencontrer le premier drame de sa vie, l'antisémitisme. En 1940, Paris est occupé par les troupes allemandes. Avec l'appui du régime en place à l'époque en France [ Le régime de Vichy], le Reich se lance à la poursuite des juifs résidés sur le sol Français. Dès septembre 1940, une ordonnance exige à tous les juifs de se faire recenser. Pourtant, ce recensement cache un plan macabre. Le but poursuivi par les Nazis n'est autre que l'agression inhumaine des juifs qu'ils voilent sous un appel à l'inventaire. Ce qui était obscurci sous une allure administrative sauta, sans tarder, aux vus de tous. Des milliers de juifs furent arrêtés et transférés dans des camps de concentration et des camps de la mort.  Ces camps étaient de véritables enfers à ciel ouvert. Les juifs y étaient soumis à d'atroces souffrances. Dans ces lieux mortifères, les juifs étaient abandonnés à la famine, utilisés comme esclaves et cobayes. Et, comment ne pas faire allusion aux terribles chambre à gaz, où - pour la gloire du Nazisme! - des millions d'hommes, de femmes et d'enfants furent assassinés, leurs corps brûlés. Dans ce délire funèbre devant lequel les atrocités de l'enfer de Dante⁴ ne sont que bagatelles, Robert perdit son père, son oncle et sa grand-mère, de qui il tient son goût pour l'éloquence. Les allemands ont fait de lui un "paria"!⁵ La blessure qui s'est faite en lui s'ancra profondément et le guida jusqu’au bout dans son combat face à la mort.

 

Le combat contre la mort.

Robert rêvait, déjà, dans ses jeunes années, de devenir Avocat. Après avoir obtenu son bac, il s'est lancé dans la concrétisation de son rêve. Robert intègre l'université de Paris et, en 1948, obtient une licence en lettres et en droit. Suite à l'obtention d'une bourse, l'année suivante, il s'envole pour les États-Unis où il décrocha un <<master of Arts>>, donc une maîtrise en humanité et en sciences sociales. Dès son retour à Paris, il passe le barreau en 1951 et devient enfin Avocat. Après des débuts mitigés au cabinet d'Henry Torrès, d'ailleurs qui lui enseigne les codes du métiers, le petit oiseau prend son envol en mettant sur pied son propre cabinet. Avec des affaires défendues comme celles de Marius Jacob et de Charlie Chaplin, Star hollywoodienne, Robert se fait un nom. La popularité du jeune et talentueux Avocat  va l'amener à défendre, en 1972, un homme dont la foule réclame la tête, Roger Bontems. Roger Bontems et Claude Buffet, alors emprisonnés en 1971, planifient une prise d'otage afin de s'échapper des fers qui les privent de liberté. Lors de cette tentative d'escapade, Bontems et Buffet ont assassinés une infirmière et un gardien de 25 ans. Ce crime souleva l'émoi dans le pays. Et la foule de clamer: À Mort Bontems! À Mort Buffet!

Le cadre était clair, les deux accusés risquaient la guillotine⁶. Robert, Avocat de Bontems, décide de plaider que son client n'a pas donner la mort. À l'audience, il répète ses mots:

" On ne peut pas!

On ne peut pas condamner à mort un homme qui ne l'a pas donner."

La démonstration oratoire de Robert et des éléments probatoires à l'appui suffirent pour convaincre le jury que Bontems n'a pas tué. Cependant, pour complicité d'assassinat, Bontems fut condamné à la même peine que Buffet, celle de la mort. Le pourvoi en Cassation ne donna rien. Il ne reste qu'une seule chance pour sauver la tête de Bontems: la grâce présidentielle. Le président français de l'époque, Georges Pompidou, était un homme de grâce, par le passé. Mais, face à l'opinion publique qui était révoltée, face au portrait de l'innoncente infirmière assassinée qui faisait la une des journaux, le président devait céder. Pompidou n'a pas accorder de grâce. La mort des coupables est donc acté. Au matin du 28 novembre 1972, Roger Bontems et Claude Buffet sont passés à la guillotine, leurs têtes ont été tranchés par la justice. À partir de ce moment, Robert s'est constitué comme le pire ennemi de la mort. Il est devenu l'avocat de l'abolition. C'est dans ce contexte qu'il publie un livre en 1973, un cri de révolte contre la peine de mort: L'exécution.

 

La victoire sur la mort.

Survient une autre affaire qui secoue la France, l'affaire Patrick Henry. Ce dernier est arrêté pour l'enlèvement et le meurtre d'un enfant de sept ans. L'opinion réclame sa tête, comme pour Bontems. Et c'est alors que Robert va faire de cette affaire une victoire. Il décide de mettre les jurés en face de leur conscience. Robert nous sort un réquisitoire d'une éloquence majestueuse. En bon Avocat, il est allé convaincre les jurés en prononçant des mots perçants:

" Si vous le coupez en deux

Ça ne dissuadera rien, ni personne.

Un jour la peine de mort sera aboli, si vous l'envoyé à la guillotine, un jour vos enfants vous poserons la question et vous verrez le regard."

 

L'émotion était grande. Personne ne pouvait résister. Trois des jurés éclataient en larmes. Le génie Robert savait que plaider l'effet non dissuasif de la peine de mort était un atout, d'ailleurs l'accusé qu'il défend, Patrick Henry, lui même fut par le passé partisan de la peine de mort. Où réside donc la mission de décourager le criminel que la peine de mort porte? Elle ne sert à rien semble-t-il. Les jurés, secoués par le verbe percutant de l'Avocat, décide d'épargner Patrick Henry de la mort en l'envoyant, plutôt, en prison à perpétuité. Après cette victoire, Robert évitera la peine de mort à cinq autres accusés. L'opinion le proclame Avocat du diable. Il est même attaqué en son domicile. C'est normal, car la foule souffre le manque de ses spectacles funestes. Mais, le valeureux ne cède pas, le combat continue. Mais, ces victoires ne supprime pas la peine de mort. Robert décide donc de mener un combat contre la mort sur le front politique afin d'en finir totalement. Lorsqu'en 1981, le candidat socialiste, François Mitterrand, est élu président, Robert Badinter devient ministre de la justice. Ainsi, il espère concrétiser son rêve: mettre la mort KO technique. Robert s'est donc mit à la rédaction du projet de loi personnellement, dont l'article premier proclame: ''La peine de mort est abolie." Cette loi qu'il chérissait tant fut présentée à l'assemblée nationale pour adoption, tandis que six français sur dix sont favorables à la peine de mort. La loi ne suffit pas, il faut la défendre par des mots. C'est ainsi que l'Avocat prononça l'un des grands discours de l'histoire:

"Demain, grâce à vous, la justice ne sera plus une justice qui tue...

Demain, grâce à vous les pages sanglantes de notres histoires seront tournées."

L'assemblée nationale adoptera, à la majorité, le projet de loi d'abolition de la peine de mort. Et le Sénat suivra après. La mort  était donc vaincue, dans toutes ses laideurs, dans tout ce qu'elle porte de mauvais.

 

Robert Badinter, l'homme juste.

L'éloquence a donc vaincu la mort. Elle n'a pas su résister à l'arme humaine la plus redoutable: la parole. Celle d'un homme, celle d'un juste⁷. La peine de mort n'a pas sa place dans notre monde. Robert a lancé l'alerte partout dans le monde. L'alerte est que l'époque de la loi du talion n'est plus.

La peine de mort est cruelle et inhumaine. Le fait que la justice se livre à un tel châtiment démontre une face triste et épouvantable de notre société. Victor Hugo de son temps décrivait la peine de mort comme le signe barbare de notre société. Cette abomination ne sert à rien. Car, la peine de mort n'est en rien dissuasive. Plus tard, au cours de sa vie, Robert Badinter déclarera qu'il combatterait la peine de mort, partout dans le monde, jusqu'à son dernier souffle. Le combat a payé. Car, la France était le 35ème pays du monde à abolir la peine de mort. Aujourd'hui, 112 pays l'ont fait, selon Amnesty international, soit deux tiers des pays du monde. Il est clair qu'avec la poursuite du combat, la mort ne peut que céder. Robert Badinter est mort le 9 février 2024. Pourquoi parler de mort pour Robert? Il vaudrait mieux que l'on parle d'un voyage vers l'au delà pour un face à face avec la mort. Le joueur sur qui miser est connu. Car, qui de mieux que Robert Badinter pour tuer la mort.

 

Wood Kervens FIGARO

Étudiant et membre du comité central du club débat de Bourdon.

STAFF COM-BDN

 

 

Notes et références

 

1. BISACCIA Dorothée et al., Les 50 règles d'or de l'éloquence, Paris, Larousse, 2022, 93 p.

2. Ibid., pp. 8-9.

3. Voir le mythe de Sisyphe: https://mythologica.fr/grec/sisyphe.htm.

4. Voir L'Enfer, La divine comédie: https://ladivinecomedie.com/la-divine-comedie/lenfer.

5. RAGOT, Mathilde, Ce que vous ne savez peut-être pas sous l'homme de justice opposé à la peine de mort, GEO, 9 Février, 2024,  https://www.geo.fr/histoire/deces-robert-badinter-homme-de-justice-oppose-a-la-peine-de-mort-216702. ( consulté le 09.02.24).

6. Instrument d'exécution servant à trancher le cou du condamné à mort.

7. Titre du livre de Missika et Maurice Szafran sur la vie de Robert Badinter: Robert Badinter, l'homme juste (éd. Tallandier, 2021).







 

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