
S'il existe
bien une arme commune aux hommes de toutes les époques, de toutes les
civilisations, c'est bel et bien l'éloquence. Instituer par les anciens et
perfectionner par les modernes, l'éloquence résiste aux vieillissements du
temps. Nous utilisons encore le plan classique du discours définit par Aristote
ou Quintilien: exorde, Introduction, narration, argumentation, réfutation,
péroraison. De même, les anciens nous ont légués les trois pilliers du débat
rhétorique tels que l'ethos, le pathos et le logos.¹ L'éloquence c'est bien
"plaire, émouvoir, convaincre" selon la définition du grand orateur
romain Cicéron.² Au delà de l'usage que les hommes font de cette arme contre eux
même, l'éloquence contribue à des exploits plus légendaires. D'aucuns se
rappellent le talent oratoire prodigieux de Sisyphe qui, raconté par Homère,
trompa Thanatos et Haddès, respectivement dieux de la mort et des enfers chez
les grecs.³ De la même teneur est l'histoire que nous comptons dessiner à
travers ces quelques mots. Le récit d'un
homme qui a vaincu la mort avec l'arme de la parole. Tout esprit curieux
pourrait croire que l'on veut conter une légende. Loin de là se trouve notre
volonté et nos références ne sont guère mythologiques. Ce récit est celui d'un
homme juste: Robert Badinter.
Une vie d'émotions et d'éloquence.
Robert Badinter
naît à Paris le 30 mars 1928 de parents naturalisés. Son père et sa mère, Simon
et Charlotte sont originaires du Bessarabie (région partagée entre la Moldavie
et l'Ukraine). Robert est donc né de parents juifs. Persécutés pour leur appartenance,
les parents de Robert ont dû quitter la Bessarabie pour rejoindre le pays des
droits de l’homme [La France] en 1912.
Robert grandit à Paris et c'est alors qu'il va rencontrer le premier
drame de sa vie, l'antisémitisme. En 1940, Paris est occupé par les troupes
allemandes. Avec l'appui du régime en place à l'époque en France [ Le régime de
Vichy], le Reich se lance à la poursuite des juifs résidés sur le sol Français.
Dès septembre 1940, une ordonnance exige à tous les juifs de se faire recenser.
Pourtant, ce recensement cache un plan macabre. Le but poursuivi par les Nazis
n'est autre que l'agression inhumaine des juifs qu'ils voilent sous un appel à
l'inventaire. Ce qui était obscurci sous une allure administrative sauta, sans
tarder, aux vus de tous. Des milliers de juifs furent arrêtés et transférés
dans des camps de concentration et des camps de la mort. Ces camps étaient de véritables enfers à ciel
ouvert. Les juifs y étaient soumis à d'atroces souffrances. Dans ces lieux
mortifères, les juifs étaient abandonnés à la famine, utilisés comme esclaves
et cobayes. Et, comment ne pas faire allusion aux terribles chambre à gaz, où -
pour la gloire du Nazisme! - des millions d'hommes, de femmes et d'enfants
furent assassinés, leurs corps brûlés. Dans ce délire funèbre devant lequel les
atrocités de l'enfer de Dante⁴ ne sont que bagatelles, Robert perdit son père,
son oncle et sa grand-mère, de qui il tient son goût pour l'éloquence. Les
allemands ont fait de lui un "paria"!⁵ La blessure qui s'est faite en
lui s'ancra profondément et le guida jusqu’au bout dans son combat face à la
mort.
Le combat contre la mort.
Robert rêvait,
déjà, dans ses jeunes années, de devenir Avocat. Après avoir obtenu son bac, il
s'est lancé dans la concrétisation de son rêve. Robert intègre l'université de
Paris et, en 1948, obtient une licence en lettres et en droit. Suite à
l'obtention d'une bourse, l'année suivante, il s'envole pour les États-Unis où
il décrocha un <<master of Arts>>, donc une maîtrise en humanité et
en sciences sociales. Dès son retour à Paris, il passe le barreau en 1951 et
devient enfin Avocat. Après des débuts mitigés au cabinet d'Henry Torrès,
d'ailleurs qui lui enseigne les codes du métiers, le petit oiseau prend son
envol en mettant sur pied son propre cabinet. Avec des affaires défendues comme
celles de Marius Jacob et de Charlie Chaplin, Star hollywoodienne, Robert se
fait un nom. La popularité du jeune et talentueux Avocat va l'amener à défendre, en 1972, un homme
dont la foule réclame la tête, Roger Bontems. Roger Bontems et Claude Buffet,
alors emprisonnés en 1971, planifient une prise d'otage afin de s'échapper des
fers qui les privent de liberté. Lors de cette tentative d'escapade, Bontems et
Buffet ont assassinés une infirmière et un gardien de 25 ans. Ce crime souleva
l'émoi dans le pays. Et la foule de clamer: À Mort Bontems! À Mort Buffet!
Le cadre était
clair, les deux accusés risquaient la guillotine⁶. Robert, Avocat de Bontems,
décide de plaider que son client n'a pas donner la mort. À l'audience, il
répète ses mots:
" On ne
peut pas!
On ne peut pas
condamner à mort un homme qui ne l'a pas donner."
La
démonstration oratoire de Robert et des éléments probatoires à l'appui
suffirent pour convaincre le jury que Bontems n'a pas tué. Cependant, pour
complicité d'assassinat, Bontems fut condamné à la même peine que Buffet, celle
de la mort. Le pourvoi en Cassation ne donna rien. Il ne reste qu'une seule
chance pour sauver la tête de Bontems: la grâce présidentielle. Le président
français de l'époque, Georges Pompidou, était un homme de grâce, par le passé.
Mais, face à l'opinion publique qui était révoltée, face au portrait de
l'innoncente infirmière assassinée qui faisait la une des journaux, le
président devait céder. Pompidou n'a pas accorder de grâce. La mort des
coupables est donc acté. Au matin du 28 novembre 1972, Roger Bontems et Claude
Buffet sont passés à la guillotine, leurs têtes ont été tranchés par la
justice. À partir de ce moment, Robert s'est constitué comme le pire ennemi de
la mort. Il est devenu l'avocat de l'abolition. C'est dans ce contexte qu'il
publie un livre en 1973, un cri de révolte contre la peine de mort: L'exécution.
La victoire sur la mort.
Survient une
autre affaire qui secoue la France, l'affaire Patrick Henry. Ce dernier est
arrêté pour l'enlèvement et le meurtre d'un enfant de sept ans. L'opinion
réclame sa tête, comme pour Bontems. Et c'est alors que Robert va faire de
cette affaire une victoire. Il décide de mettre les jurés en face de leur
conscience. Robert nous sort un réquisitoire d'une éloquence majestueuse. En
bon Avocat, il est allé convaincre les jurés en prononçant des mots perçants:
" Si vous
le coupez en deux
Ça ne
dissuadera rien, ni personne.
Un jour la
peine de mort sera aboli, si vous l'envoyé à la guillotine, un jour vos enfants
vous poserons la question et vous verrez le regard."
L'émotion était
grande. Personne ne pouvait résister. Trois des jurés éclataient en larmes. Le
génie Robert savait que plaider l'effet non dissuasif de la peine de mort était
un atout, d'ailleurs l'accusé qu'il défend, Patrick Henry, lui même fut par le passé
partisan de la peine de mort. Où réside donc la mission de décourager le
criminel que la peine de mort porte? Elle ne sert à rien semble-t-il. Les
jurés, secoués par le verbe percutant de l'Avocat, décide d'épargner Patrick
Henry de la mort en l'envoyant, plutôt, en prison à perpétuité. Après cette
victoire, Robert évitera la peine de mort à cinq autres accusés. L'opinion le
proclame Avocat du diable. Il est même attaqué en son domicile. C'est normal,
car la foule souffre le manque de ses spectacles funestes. Mais, le valeureux
ne cède pas, le combat continue. Mais, ces victoires ne supprime pas la peine
de mort. Robert décide donc de mener un combat contre la mort sur le front
politique afin d'en finir totalement. Lorsqu'en 1981, le candidat socialiste,
François Mitterrand, est élu président, Robert Badinter devient ministre de la
justice. Ainsi, il espère concrétiser son rêve: mettre la mort KO technique.
Robert s'est donc mit à la rédaction du projet de loi personnellement, dont
l'article premier proclame: ''La peine de mort est abolie." Cette loi
qu'il chérissait tant fut présentée à l'assemblée nationale pour adoption,
tandis que six français sur dix sont favorables à la peine de mort. La loi ne
suffit pas, il faut la défendre par des mots. C'est ainsi que l'Avocat prononça
l'un des grands discours de l'histoire:
"Demain,
grâce à vous, la justice ne sera plus une justice qui tue...
Demain, grâce à
vous les pages sanglantes de notres histoires seront tournées."
L'assemblée
nationale adoptera, à la majorité, le projet de loi d'abolition de la peine de
mort. Et le Sénat suivra après. La mort
était donc vaincue, dans toutes ses laideurs, dans tout ce qu'elle porte
de mauvais.
Robert Badinter, l'homme juste.
L'éloquence a
donc vaincu la mort. Elle n'a pas su résister à l'arme humaine la plus
redoutable: la parole. Celle d'un homme, celle d'un juste⁷. La peine de mort
n'a pas sa place dans notre monde. Robert a lancé l'alerte partout dans le
monde. L'alerte est que l'époque de la loi du talion n'est plus.
La peine de
mort est cruelle et inhumaine. Le fait que la justice se livre à un tel
châtiment démontre une face triste et épouvantable de notre société. Victor
Hugo de son temps décrivait la peine de mort comme le signe barbare de notre
société. Cette abomination ne sert à rien. Car, la peine de mort n'est en rien
dissuasive. Plus tard, au cours de sa vie, Robert Badinter déclarera qu'il
combatterait la peine de mort, partout dans le monde, jusqu'à son dernier
souffle. Le combat a payé. Car, la France était le 35ème pays du monde à abolir
la peine de mort. Aujourd'hui, 112 pays l'ont fait, selon Amnesty
international, soit deux tiers des pays du monde. Il est clair qu'avec la
poursuite du combat, la mort ne peut que céder. Robert Badinter est mort le 9
février 2024. Pourquoi parler de mort pour Robert? Il vaudrait mieux que l'on
parle d'un voyage vers l'au delà pour un face à face avec la mort. Le joueur
sur qui miser est connu. Car, qui de mieux que Robert Badinter pour tuer la
mort.
Wood Kervens FIGARO
Étudiant et membre du comité central du club débat de
Bourdon.
STAFF COM-BDN
Notes et
références
1. BISACCIA
Dorothée et al., Les 50 règles d'or de l'éloquence, Paris, Larousse, 2022, 93
p.
2. Ibid., pp.
8-9.
3. Voir le
mythe de Sisyphe: https://mythologica.fr/grec/sisyphe.htm.
4. Voir
L'Enfer, La divine comédie: https://ladivinecomedie.com/la-divine-comedie/lenfer.
5. RAGOT,
Mathilde, Ce que vous ne savez peut-être pas sous l'homme de justice opposé à
la peine de mort, GEO, 9 Février, 2024, https://www.geo.fr/histoire/deces-robert-badinter-homme-de-justice-oppose-a-la-peine-de-mort-216702. ( consulté le
09.02.24).
6. Instrument
d'exécution servant à trancher le cou du condamné à mort.
7. Titre du
livre de Missika et Maurice Szafran sur la vie de Robert Badinter: Robert
Badinter, l'homme juste (éd. Tallandier,
2021).