jeudi 31 août 2023

La Constitution haïtienne de 1987 est-elle victime du partage d'un échec organisé ?

La Constitution haïtienne de 1987, par son adoption, a rendu souverain le triomphe du peuple dans ses luttes infernales menées contre les comportements et agissements arbitraires caractérisant un régime despotique et tyrannique qui a perduré environ trois longues décennies. De cette adoption s'ensuit un régime politique différent qui n'est autre que la Démocratie vue comme la solution de tous les maux causés par le régime des Duvalier. Nous assistons, ces récentes années, à des averses de protestations déversées sur la Constitution haïtienne de 1987, d'ailleurs, coordonnées et soutenues par divers couche et acteurs composant la structuration de la vie politique nationale. Convient-il, désormais, non de rôder autour de la question mais de charpenter notre réflexion autour d’une éventuelle faillite de la Constitution dans son application ou du moins ne peut-on la considérer, dans notre analyse, comme étant un élément qui s'est approprié des caractéristiques d'un échec prémédité ? Peut-on lui imputer la responsabilité d'avoir accouché le règne de précarité qui gangrène la société actuelle ? Dans notre raisonnement nous allons d’abord présenter l'œuvre constitutionnelle comme un recueil de droits et de libertés (A) ensuite démontrer l'application partielle de la norme constitutionnelle par les autorités étatiques (B).

A) La Constitution haïtienne de 1987 : un recueil de droits et de libertés.

L'élaboration des premières constitutions ne mettait pas un accent important sur la question des libertés et des droits de l'individu. Car, à cette époque, devaient essentiellement dégager d'une constitution des règles se rapportant à l'organisation et à l'exercice des pouvoirs publics; dans ce sens, elle avait l'impérieux objectif d'encadrer la politique. À partir du XVIIIème siècle, la définition de la démocratie proposée par le Président américain Abraham Lincoln a su orienter les pas et canaliser l'esprit de toutes constitutions démocratiques vers un champ du libéralisme avec le peuple comme élément central. Il s'avère incontestablement essentiel de considérer la majestueuse importance de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, dans un texte constitutionnel par le biais de son préambule. Dans cette optique, une Constitution se voit dans l'obligation d'assurer la promotion de l'individu qui, outre le pouvoir politique, en est devenu un objet indispensable. Il est donc jugé indispensable de limiter les actions des pouvoirs publics pour assurer sa protection vu que l'individu s'installe au centre de la Constitution assimilé dans la perspective du courant du <<Constitutionnalisme>>.

 

On relate inlassablement au cours de la seconde moitié du vingtième siècle le retard d'Haïti dans plusieurs domaines, sans oublier les inquiétudes nourries par plus d'un de part son absence injustifiée dans plusieurs révolutions, principalement dans la révolution industrielle. En dépit des difficultés qui ont jonché le cours de son histoire politique, le pays s'est retrouvé dans la nécessité de s'inscrire dans une démarche logique afin de revendiquer l'élaboration d'une œuvre constitutionnelle capitale qui pourra, dans les années futures, être un agent de normalisation pouvant limiter les actions de l'État contre les individus qui pourraient être arbitraires. Pour s'y faire, les constituants ont pris le soin de consacrer un chapitre entier, le chapitre 2, aux droits relatifs à la personne humaine. La réitération du caractère sacré de la vie humaine ainsi que son respect y sont inscrites, insérés, ...


Elle saisit dans les colonnes de ses articles la totalité des droits indispensables à la survie d'un individu. Pour mieux étayer sa position et faire asseoir sa volonté dans la valorisation de ce droit, la Constitution en son article 20 abolit la peine de mort. Chaque individu indistinctement doit pouvoir jouir de ses droits inhérents.

Se contenter d'édicter et d'énoncer des règles qui promeuvent les droits individuels sans pour autant édifier des structures et mettre sur pied des institutions dont la mission principale serait de garantir leur respect aurait fait de la Constitution une œuvre incomplète. C'est pourquoi, à titre d'exemple, l'idée illustrée à l'article 23 de la Constitution oblige la construction des hôpitaux et centres de santé pour protéger le droit à la santé, un devoir de l'État envers ses citoyens. 

L'individu n'envisage pas, dans un État de Droit, d'endosser l'engagement primitif quant à sa sécurité personnelle, en vertu du contrat qu'il a établi avec l'État. Sur ce, la libre circulation des individus et des marchandises ne devrait pas être un privilège de jouissance pour une catégorie sociale déterminée notamment pour les détenteurs des pouvoirs économiques et sociaux. Mais, en tant que l'une des missions régaliennes de l'État, le bénéfice de jouissance appartient à tous.  Partout, au sein de tout groupement social, existent des costumes, des pratiques, des connaissances qui lui sont propres, leur transmission est assurée par l'enseignement. La loi mère, dans le souci de veiller à la bonne transmission du savoir, en fait un sacerdoce. Dans ce sens, elle peut s'octroyer la réputation d'être l'œuvre constitutionnelle la plus complète au monde pour avoir fait la prééminence des libertés et des droits de l'homme.

L'État a pour objectif premier de remplir les missions qui lui sont confiées par la Constitution haïtienne de 1987. Peu importe le statut ou le rang social d'un individu, il est passible de la jouissance des prérogatives de protection et d’accès à l'administration publique. De cette idée découle, la notion d'égalité. Le principe est formellement inclu dans l'article 18 de ladite Constitution. Les situations difficiles qui jonchent le quotidien de l'individu portent atteintes à son intégrité physique et morale. La résolution à ce problème serait le renforcement des organes de protection tels le renforcement de l'Office de Protection du Citoyen, les organes chargés de protéger les droits des humains. Parallèlement, l'accomplissement de ces actions par l'État matérialiserait sa volonté et sa mission d'entretien des dits droits.

Exceptionnellement, la réalité des droits de l'homme en Haïti est bien plus qu'illusoire. La société haïtienne est alors tombée dans un abîme de violation continue des droits. Les droits humains sont bafoués, violés, piétinés,.. par des comportements antisociaux de certains individus et au grand étonnement par l'État qui revêt l'allure de garant, conséquence de l'inapplication des textes constitutionnels. De là apparaît un paradoxe difficilement réfutable.

Les agissements de l'État prouvent sa souple responsabilité à remplir l'obligation dont la Constitution lui a investi. Car, de lui, s'éloignent les volontés de recourir à la répression des violations des droits individuels. En outre, sa passivité dans la réalisation de cette mission cruciale témoigne de l'érection d'un Léviathan qui accepte de faire briller son absence par son impuissance totale et complète. Il n'est pas un secret pour personne que l'État actuel, par la prolifération sur toutes les formes des actes de violences perpétrées quotidiennement dans la société haïtienne, refuse toutes initiatives de nouvelles stratégies de contrôle et de protection effectives des droits et des libertés.

B)L'application partielle de la norme constitutionnelle.

Mentionnée à l'article 59 de la Constitution, a vu le jour avec la Constitution américaine et s'est trouvé inscrit sous la plume de Montesquieu, la théorie de la séparation des pouvoirs délègue à chaque pouvoir une spécialisation. L'exercice de la séparation des pouvoirs s'opère dans le cadre des limites tracées par la norme constitutionnelle. Par ailleurs, faut-il faire le point sur l’endossement de l'intégrale responsabilité des dirigeants de l'État haïtien dans les circonstances actuelles.

A l'image d'une quelconque religion organisée qui s'articule autour des valeurs prescrites dans un document sacré conditionnant les actions et les comportements de ses adeptes, conformément à l'illustration reproduite par le Christianisme, les conceptions produites à l'égard de la Constitution ne serait nulle autre pareille. Par conséquent, l'impérative nécessité pour les prescrits de la Constitution d'être vus, appréciés et appliqués n'est que dogmatique même si, avant toute considération, cette œuvre humaine serait, comme toute autre, imparfaite.

Selon la théorie de la séparation des pouvoirs, la compétence de chacune des branches du pouvoir ne doit pas dépasser les frontières de ses attributions. Ainsi, les pouvoirs et les gouvernements ont l'obligation de poser des actions en coordination parfaite avec la norme fondamentale. Le pouvoir législatif rédige les lois, le pouvoir exécutif exécute et applique les lois enfin le pouvoir judiciaire interprète les lois. De ce fait, la concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul organe est ineffective, l'indépendance d'un pouvoir au détriment des autres est réalisée. Autrement dit, la concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul individu est inconcevable.

Est clairement insérée dans les lignes de la Constitution démocratique de 1987 le principe consacrant  l'État de droit. Les actes posés par les autorités politiques publiques, qui sont des actes juridiques, doivent respecter l'ordre juridique national plus particulièrement la Constitution qui couronne cet ordre ; les autorités sont tenues de respecter la Constitution, de veiller à son respect et de forcer son respect. Ces dispositions, depuis l'amendent de la Constitution en 2010, doit être assurées par le Conseil Constitutionnel qui, en ce moment même, n'existe pas dans notre réalité juridico-politique. Or, on se demande si l'application de ce principe a-t-elle traversé les 37 années de notre histoire sous l'égide de ladite norme essentielle ?

Les règlements en Haïti ne font pas toujours l'objet de respect non seulement par les citoyens également par les autorités que ce soient ceux des institutions privées que publiques. Ceux qui se vantent de leur appartenance à la classe élitiste ne peuvent faire preuve d'aucun respect pour les lois, voire pour la Constitution, en raison des actions qu'elles commettent qui entrent en contradiction avec celles-ci. Semble-t-il que l'infusion de l'éducation du respect des normes est étrangère à la culture haïtienne. Ce qui constitue un obstacle à l'application de la Constitution haïtienne de 1987. Agir en dehors de la Constitution, c'est expressément ou bien tacitement agir avec un excès de pouvoir. Malgré l'odieuse volonté de violer les édictions constitutionnelles, le poids de responsabilité de la situation dystopique actuelle pèse sur les épaules de la Constitution. Or, la transposition des Constitutions des pays développés dans la société haïtienne, celle des États-Unis par exemple, ne produiront aucunement un effet positif. Pour conclure, le problème ne réside pas dans la Constitution, au contraire, faut-il commencer par l'appliquer dans son intégralité ; et supprimer la volonté de l’appliquer en partie.

On s'étonne de la situation d'instabilité politique et socio-économique chronique qui affecte lourdement la réalité politique haïtienne. Pourtant, elle n’est pas inédite.  Ce n'est qu'un perpétuel recommencement. <<L'excès en tout nuit>> stipule cet adage. Implique que, à force de résider régulièrement dans la commission des actes en inadéquation avec la Constitution, le naufrage est à son comble puisque l'univers informel s'apparente à la personnalité des responsables, des dirigeants qui ne sont, en somme, compétents que pour l'incompétence. L'opinion commune fusionne autorités et État ce qui déboucherait sur une sorte d'anthropomorphisme. Cependant, ils se diffèrent bien plus qu'ils ne se ressemblent.

Ne pourrait-on pas se demander si la Constitution de 1987 existe-t-elle réellement ? Une question étonnante ! Une question à laquelle vous n'y avez pas probablement pensé. Au contraire, elle est bien plus que pertinente. L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 stipule :<< Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.>> En conséquence, sont cumulatives l’assurance de la garantie des droits et de la séparation des pouvoirs sinon est illusoire l'existence d'une Constitution dans une société. De là, la question posée au départ a toute son importance. Ainsi, peut-on caractériser d'un échec une réalité qui n'aurait pas existé ? Et si elle existe, comment peut-on prétendre militer pour son changement alors que c'est une œuvre incomprise par les autorités à cause de l’immensité de sa grandeur. Les autorités ont fait de cette œuvre un échec, elle est en quelque sorte victime d'un échec partagé, prémédité. Elles n'ont pas pu l'appliquer à bon escient pour parvenir à la concrétisation du développement durable et n'ont pas pu être de véritables protecteur de la souveraineté nationale. À ne pas oublier que la démocratie est avant tout un objectif et un moyen de développement durable.

Bon nombre de ceux qui revendiquent une nouvelle Constitution, ignorent le vrai sens d'une Constitution; il arrive qu'ils ne réservent pas du temps pour faire connaissance avec le moindre article. Ils se mettent à l'affût pour répéter des discours amers qui tachent cette œuvre emblématique. Avec cette attitude simisque, ils ne font qu'alimenter la machine de la spéculation. La Constitution n'est pas pour autant une œuvre parfaite, elle doit constamment répondre aux besoins de la société.

Somme toute, une Constitution prend en compte les réalités actuelles d'une société, à fortiori d'un État, alors, en raison de son application en partie voire son inapplication ,  considérant ainsi l'émergence de nouvelles réalités mondiales qui influencent la société de nos jours, ne laisserons-nous pas la porte grande ouverte à un amendement ou à une révision de la Constitution haïtienne de 1987?

 

Djouve Louis Gerald BATAILLE, étudiant en Droit à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l'Université d'État d'Haïti.

STAFF COM BDN

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